3.2. La pédagogie Freinet : une « école moderne » centrée sur l’enfant

Célestin Freinet
Célestin Freinet (1896-1966)

En France, Célestin Freinet a mis au point une nouvelle méthode pédagogique suite à une blessure pendant la première guerre mondiale qui l’empêchait de parler fort, ce qui, pour un instituteur devant une classe forcément composée de quelques trublions, peut poser problème… Il a donc dû inventer un système pour intéresser les élèves, aiguiser leur intérêt et les maintenir en éveil de leur plein gré. Ses travaux, comme beaucoup d’autres, font partie d’un mouvement désireux de rénover, dépoussiérer la vision éducative de l’époque dénommé « École moderne« .

Célestin Freinet a mis en place, de manière empirique, un système basé sur une école vivante (comme l’expliquent les partisans de « l’éducation nouvelle « ) où les manuels scolaires sont bannis et les enfants doivent prendre la parole (séquence intitulée « Quoi de neuf ? ») et rédiger des écrits basés sur des événements qu’ils choisissent eux-mêmes. L’enseignement proposé est individualisé, chaque élève ayant un travail adapté à son niveau à réaliser.

Exemple d’une école publique à Marseille où la méthode Freinet est mise en œuvre :

 

Petit à petit au sein de sa classe et, comme il l’explique lui-même, grâce à un « tâtonnement expérimental » qui consiste à laisser les élèves faire leurs découvertes, leurs hypothèses et essais, Célestin Freinet a mis au point un ensemble de « techniques » éducatives (c’est le terme qu’il préfère à celui de « pédagogies » – Voir son ouvrage dans ce sens intitulé « Les techniques Freinet de l’école moderne« , 1964) qui constituent la charnière de sa pédagogie (plaquette en ligne de l’association ICEM). En voici les principaux éléments :

  • Expression libre des jeunes : dessins, textes, correspondances, exposés, journal scolaire…
  • Relier activités des élèves et responsabilités,
  • Correspondance avec d’autres classes (éloignées géographiquement),
  • Individualisation du travail,
  • Fichiers et livrets auto-correctifs,
  • Insertion dans une vie sociale locale bien réelle,
  • et intégration de l’enseignement dans un système d’organisation coopérative.

Voici un schéma qui synthétise les pendants de la méthode Freinet :

Résultat de recherche d'images pour "freinet"Ainsi, les éducateurs et enseignants de cette méthode cherchent à développer une réelle émancipation des enfants (de 3 à 12 ans) en suivant les quatre grands axes présentés ci-dessus.

Pour les compléter, il existe une  Charte dite de l’École Moderne pour la méthode Freinet (finalisée en 1968) qui présente en une dizaine de points, une école ouverte, centrée sur l’enfant qui pourra :

  • construire sa personnalité par l’expression, le sens critique, la responsabilisation, la coopération, l’expérimentation et l’ouverture au monde,
  • s’épanouir par un apprentissage autonome (ce qui n’exclut pas l’aide d’adultes) et qui tient compte du rythme de chaque apprenant, ouvert aux autres, à la société et ses différents courants (politiques, sociaux…),
  • expérimenter la coopération, la confrontation des idées, expériences et autres recherches…

La « pédagogie » Freinet a aussi pour vocation, tout en gardant sa liberté d’action, de participer activement à la modernisation de l’école publique dans un esprit de collaboration étroite et efficace, tant au niveau national qu’international dans le cadre d’une Fédération Internationale des Mouvements d’École Moderne (FIMEM) à l’instar de l’ICEM en France.

Nous allons maintenant expliciter, détailler quelques éléments primordiaux de cette méthode (cf. schéma ci-dessus) en sachant qu’il est essentiel dans l’apprentissage de bien veiller à défendre des idées tournées vers :

  • la coopération que l’individualisme des systèmes de pensées libéraux comme le capitalisme,
  • l’entraide, les relations humaines plutôt que la compétition ou le déni de l’humain,
  • la mutualisation des savoirs plutôt que leur marchandisation.

 

1. Le tâtonnement expérimental :

Célestin Freinet a commencé à expérimenter de nouvelles pratiques pédagogiques avec sa propre fille dès 1934 pour qu’elle découvre la lecture, l’écriture et les bases de l’orthographe : il l’a laissée passer progressivement, sans cours traditionnel, du dessin commenté au « gribouillage » de noms usuels puis à l’invention d’histoires… Il décide, suite à la réussite de sa fille, de mettre cette méthode par écrit qu’il appelle « Méthode naturelle de lecture ».

Il relève qu’une des conditions essentielles est de n’imposer aucune règle à l’enfant pour les laisser s’exprimer mais aussi de favoriser les échanges entre eux et ce, dès les premiers gribouillis. Pour lui, ce « tâtonnement expérimental » est à la base de tous les apprentissages, qu’il s’agisse des mathématiques, de la grammaire, des langues, des sciences, etc. en laissant imaginer, comparer, observer…

L’enfant en apprenant par lui-même :

  • se passionne pour ce qu’il fait,
  • retient mieux et pour longtemps ce qu’il découvre,
  • développe une capacité à chercher, comparer, inventer, s’adapter seul qui reste très utile dans notre monde moderne.

Ce processus d’apprentissage par tâtonnements successifs est de nos jours reconnus pour les enfants, adolescents mais aussi adultes en formation continue.

 

2. Le travail individualisé :

Pour obtenir une bonne maîtrise et une consolidation des connaissances de base, Célestin Freinet propose de compléter sa méthode du tâtonnements successifs par la mise en place d’exercices dont la particularité est, toujours dans la lignée de sa pensée, de laisser une grande autonomie à l’apprenant qui doit demeurer sans contrainte, loin d’un parcours unique au rythme imposé.

Naissent ainsi les « fichiers auto correctifs » personnels dont les objectifs sont :

  • d’ancrer, consolider les connaissances déjà découvertes par l’apprenant lui-même dans toutes les matières au niveau primaire : mathématiques, conjugaison, orthographe, géométrie…
  • de laisser la liberté à chacun d’entre eux de progresser à leur rythme grâce à des « fiches-guides » créés pour faciliter les recherches dans certaines matières techniques (sciences, histoire, géographie…).

Il met au point après la guerre et avec des enseignants bénévoles d’autres matériels comme des « bandes programmées imprimées« (informatisées par la suite) censées délivrer l’enseignant de sa volonté d’enseigner au profit de d’une expression plus libre des enfants à travers ce tâtonnement et l’utilisation de ces fiches auto-correctives.

Cependant, même si pour lui l’utilisation de l’outil informatique est indispensable, l’enseignant doit garder son rôle d’aide, de conseiller, de « facilitateur ».

 

3. L’expression et la communication :

L’expression à travers l’art :

Inutile de préciser que la maîtrise de la langue en tant qu’outil d’expression pour un enfant est primordial, qu’il s’agisse de savoir formuler à l’écrit ou de développer son éloquence à l’oral, même s’il existe d’autres modes de communication comme bien entendu le dessin, la peinture, la sculpture… qui doivent eux aussi être mis en avant pour favoriser l’émergence du potentiel de chaque enfant.

Dans ce domaine artistique, Célestin Freinet insiste sur la nécessité de ne rien imposer à l’apprenant, même pas un modèle. Il innove en proposant d’utiliser, dans la peinture, de grandes surfaces (sur des papiers d’emballage récupérés) afin de surprendre, d’étonner enfants et enseignants qui, devant ces œuvres aux gigantesques dimensions affichés aux murs (cela change des petits dessins sur des cahiers !), suscitent réactions, discussions, échanges mais aussi conseils de la part de spécialistes (comme la femme de Freinet qui est elle-même artiste) pour mieux faire ressortir l’originalité d’une œuvre, sa substantifique moelle comme disait Montaigne.

Des concours (et même des expositions) sont organisés entre écoles pour démultiplier la communication et les réussites. Picasso lui-même, ému devant la réussite et la maturité de certaines peintures adressera (par écrit) des félicitations… Le « dessin libre » devient un « art enfantin » !

L’aventure ne s’arrête pas là :

  • une revue qui porte ce même nom (« Art enfantin ») est créée en 1959 par la femme de Célestin, Élise Freinet. De célèbres auteurs l’encouragent : Cocteau (1889-1963), Lurçat (1892-1966), Dubuffet (1901-1985)…
  • un livre (« L’enfant artiste », 1963) rassemblera quelques années plus tard les expériences, idées et résultats de cette volonté de laisser libre cours au sens artistique inné chez l’enfant qui ne s’est pas limité au dessin mais a aborder d’autres disciplines comme le modelage, la céramique, la tapisserie…
L’expression à travers les « brochures documentaires » (BT) :

Les enfants deviennent à la fois :

  • auteurs d’enquêtes, reportages et de recherches destinés à être publiés dans les journaux scolaires,
  • et « expérimentateurs » de ces écrits car, avant d’être diffusés, ils seront portés à l’avis d’enfants de plusieurs classes qui s’exprimeront sur la difficulté de compréhension du sujet, compèteront les passages qui demandent des compléments d’information…

Après la guerre, une trentaine de brochures documentaires seront publiées par an dans de multiples domaines : sciences et techniques, histoire, géographie, problèmes sociaux et économiques… Ces sujets seront même complétés à partir de 1957 par des « suppléments aux brochures documentaires » relatant expériences, maquettes réalisées en prolongement des sujets traités.

Cette expérience s’étendra après 1965 :

  • aux plus petits (7 à 10 ans) par la création d’une revue qui leur sera réservée (« BT Juniors » en 1965),
  • aux adolescents des lycées par la création d’une brochure spécifique (nommée BT2 en 1968),
  • et enfin, avec la naissance de « BT Son » qui concrétise le rapprochement d’enfants de différents âges (dès 1960) par la réalisation d’enquêtes sonores (sur magnétophones de l’époque) aidés par des professionnels de la radio (monteurs…). Ce sont des personnages célèbres qui sont interviewés (comme Jean Rostand, Haroun Tazieff, Paul-Émile Victor…) ou des professionnels dans l’artisanat ou autres domaines de la vie courante (forgeron, garde-chasse…). La bande son est souvent complétée de diapositives.

 

4. L’organisation coopérative :

Cette nouvelle organisation en classe est basée sur :

  • d’importants moments d’échanges : entretiens individuels, comptes-rendus des travaux effectués…
  • un plan de travail individuel qui explicite les objectifs de la semaine, apprenant par apprenant,
  • des plannings pour vérifier, avec souplesse et compréhension que tous les points du programme ont bien été visés et acquis,
  • le passage tout au long de l’année d’évaluations partielles (comme des Contrôles en Cours de Formation qui se développent actuellement) pour chaque élève qu’il appelle « Brevets de Spécialité » à la place des examens finaux.

Le but est d’éviter le cloisonnement de la classe par de fréquents échanges coopératifs. Petit à petit une organisation internationale d’enseignants (en Belgique, Espagne Républicaine de l’époque) s’est mise en place pour :

  • échanger réussites, initiatives et bien-sûr difficultés (sans tabous),
  • organiser rencontres, travaux de groupe et réunions pour faire vivre le mouvement et former le plus grand nombre.

Aujourd’hui et autour de l’ICEM (Institut coopératif de l’École moderne), des milliers d’enseignants réforment leur métier et surmontent les difficultés pour assurer une éducation de qualité.

L’expérience est maintenant internationale surtout depuis les années 1950 avec des liens en Amérique latine, en Afrique, au Québec ou au Japon plus récemment. Célestin Freinet crée logiquement en 1957 la Fédération internationale des mouvements d’École moderne (FIMEM).

Il reste sans conteste un des pédagogues alternatif le plus reconnu au niveau mondial même si ses « techniques » pédagogiques n’ont pas fait l’objet d’études universitaires (à son grand regret) pour « approfondir l’esprit de sa pédagogie » comme il l’aurait souhaité : création dans ce sens en 1959 d’une revue intitulée « Les fondements philosophiques des techniques Freinet« .

L’UNESCO était partenaire en 1996 aux manifestations du centenaire de sa naissance.  

 

Le mouvement pour une « École Nouvelle » :

D’autres auteurs ou mouvements associatifs ont eux-aussi décidé de rompre avec la pédagogie classique officielle en mettant en pratique une autre éducation dite « nouvelle » où :

  • l’enfant est un sujet (et non un objet) pris en considération dans sa globalité,
  • la science didactique s’adapte à sa nature (besoin d’autonomie…) et pas l’inverse,
  • l’éducation doit suivre l’évolution d’une société nouvelle en pleine mutation.

Auteurs ou mouvements qui ont fait partie de cette mouvance, dans le même esprit que celle de Célestin Freinet même si quelques différences demeurent :

Mouvement international (historique) pour « une éducation nouvelle qui prépare chez l’enfant, non seulement le futur citoyen capable de remplir ses devoirs envers ses proches et l’humanité dans son ensemble, mais aussi l’être humain conscient de sa dignité l’homme (1921)« .

Association française fondée en 1969 qui association française qui « regroupe des écoles et des établissements pratiquant des pédagogies actives, afin de faciliter leurs échanges et de faire connaître leurs travaux. Elle défend les valeurs de l’Éducation Nouvelle et gère un centre de formation qui propose aux enseignants et autres éducateurs des stages formant à ses pratiques. »

Médecin et psychologue qui a participé activement à la diffusion du mouvement de l’éducation nouvelle à travers le monde. Il a travaillé avec Maria Montessori et Ovide Decroly pour gagner progressivement une réputation internationale de théoricien dans le domaine de la didactique. Il travaillera entre autres sur le rôle primordial de l’éducateur qui reste responsable de l’organisation et de l’optimisation de l’apprentissage. Pour Claparède, l’important n’est pas que « l’enfant fasse ce qu’il veut, mais plutôt qu’il veuille bien faire ce qu’il fait ». Il va donc réfléchir aux moyens de motiver l’apprenant, d’augmenter sa capacité d’attention, sa mémorisation, la reconnaissance de ses aptitudes, de son intelligence, sur les différents types d’évaluation, l’importance du jeu…

Principal acteur du mouvement de l’école Nouvelle, ce spécialiste américain en psychologie appliquée et en pédagogie a développé le concept de « pédagogie du projet » où l’éducateur a juste un rôle de guide, de facilitateur sans pour autant incarner cette autorité très répandue à l’époque. L’élève doit apprendre en agissant et doit donc être absolument dans l’action (« hands-on learning« ) pour acquérir une expérience progressive qui lui permettra d’y trouver de l’intérêt, de l’envie. Il est un des premiers à :

  • désirer appliquer les principes démocratiques à l’éducation pour développer chez l’enfant un esprit de coopération mutuelle, un sentiment de travailler de façon positive pour une communauté,
  • penser que le but de l’éducation est avant tout de former le caractère de l’enfant, de développer ses qualités naturelles et de le « guider à des fins à la fois sociale et individuelle » sans « contrarier les tendances qui caractérisent la personnalité de l’enfant ».

Dans la lignée de tous ces grands pédagogues de l’école nouvelle, Roger Cousinet a prôné une éducation où « l’enfant travaillera à son propre développement, placé dans des conditions favorables et avec l’aide d’un éducateur qui ne sera plus qu’un conseiller pédagogique« . Après avoir expérimenté ces nouvelles méthodes durant une grande partie de sa vie, il affirme sans équivoque qu’un « changement radical de l’attitude pédagogique du maître dans ses rapports avec ses élèves » est primordial et indispensable.  Il s’appuie dans ses affirmations sur une « véritable connaissance de l’enfant et des lois de son développement » en ajoutant que « nous sommes bien difficiles à satisfaire, notre humeur n’étant guère d’accord avec nos principes. Nous faisons notre possible pour que les enfants apprennent à se passer de nous, et nous avons de la peine toutes les fois qu’ils y arrivent. » (Cousinet, 1954)

Ce pédagogue est persuadé qu’un élève, face à ses particularités, ses « soucis personnels » et son « hétérogénéité » demande une attention de chaque instant… sans quoi « il ne sera pas là  » ! Il n’a donc pas besoin d’un maître qui s’apparenterait à une « machine à enseigner » mais plutôt d’un éducateur « vigilant, disponible, entier, vivant« . Face à ce constat, Fernand Oury cherchera sa voie et finira par découvrir les principes de l’éducation nouvelle et notamment ceux du mouvement créé par les méthodes novatrices de Célestin Freinet. Il y adhère avec enthousiasme car c’est pour lui une belle alternative à la traditionnelle « école assise » (comme il la nomme). Il va même petit à petit adapter ces pratiques à la population urbaine et créer une pédagogie active qualifiée d’institutionnelle en tant qu’organisation sociale constituée d’un mélange savant avec un conseil de coopérative, des textes libres, des correspondances, des découvertes de métiers, des règles et d’un réel désir d’apprendre. Il intégrera, contrairement à Freinet, beaucoup de Sciences Humaines et de psychanalytique  pour mettre en pratique des concepts liés à l’inconscient de l’enfant dans sa pédagogie institutionnelle (P.I.). Il veut créer en fait une classe qui serait considérée comme une référence (« institution ») où échanges, partages, connaissances, respect des hétérogénéités mais aussi règles, lois acceptées par tous vont, en toute sécurité, permettre de prendre en charge tous les besoins de l’élève, structurer sa personnalité pour que l’enfant devienne un adolescent accompli puis, un jour, un homme.

Il l’explique lui-même :

 » La classe institutionnelle où le fantasme devient parole… tout comme l’agitation devient activité… est un lieu où toute parole peut être entendue (sinon reçue), justement parce que ce lieu n’est pas n’importe quoi : des lois précises y sont observées, qui permettent transferts, projections, identifications, etc. Et un certain contrôle de ce qui se passe ».